Qui ? Byssus Quoi ?

Sant'Antioco

A 4 Km au nord du centre habité de Sant'Antioco , près du charmant port de Calasetta (Baie de la Soie), se trouve la zone lagunaire dite de Stann'e Cirdu (Etang de Cirdu).
Ce toponyme fait référence au type de pêche qui y fut pratiqué :
le terme "cirdu" évoque le terme grec "cirtos", désignant un panier rond comme la nasse (nommée "cestus" en Sarde) utilisée pour la récolte des pourpres (murex).
De fait, Stann'e Cirdu constitue pour ces petits coquillages un habitat privilégié, réserve exploitée depuis l'époque phénicienne jusqu'au XX° siècle. Le toponyme donne idée du syncrétisme imagé, mais précis, qui fait la richesse du parler sarde en désignant à la fois la nasse du pêcheur et le bassin lagunaire, lui aussi circulaire.
Sous le soleil méditerranéen, Stann'e Cirdu est un incubateur naturel où prolifèrent, outre les pourpres, les grandes nacres (Pinna nobilis) qui trouvent là des conditions de vie optimales : température ambiante supérieure à 28° et salinité inférieure à 40%.
Malheureusement, l'équilibre biologique du site est aujourd'hui menacé :
- pendant les années 40, les travaux d'aménagements réduisent la circulation des eaux. En conséquence, les algues prolifèrent et divers poissons disparaissent du site;
- à la fin des années 60, les déchets du pôle sidérurgique de Porto Vesme viennent s'ajouter à ceux causés par l'urbanisation du littoral;
- les années 80 étant celles du boom de l'aquaculture, l'immersion quotidienne de tonnes de farines alimentaires et les déjections correspondantes s'ajoutent aux pollutions précédentes;
- pour remédier à ces dernières et favoriser l'échange des eaux entre lagune et mer ouverte, la percée de l'isthme de Sant'Antioco a été agrandie, sous l'arche unique d'un nouveau pont. Le courant y est maintenant si puissant qu'il cause le dragage des fonds, préjudiciable à leur vitalité. Pont Romain(on remarque que l'antique pont romain, reconstitué à deux pas du nouveau, comportait plusieurs arches de taille assez réduite pour modérer les flux et reflux)
.
Finalement, le golfe et la lagune ne constituent plus la ressource inépuisable qu'ils ont été, de mémoire d'homme et bien au-delà.

En Sardaigne
jusqu'aux premières décennies du siècle dernier, une production ténue du byssus - en italien bisso - survivait encore à Alghero, La Maddalena et Cagliari. Il advint également que, pris d'enthousiasme par les propriétés particulières de la soie marine, Giuseppe Basso Arnoux tenta d'en fonder la production industrielle. Il envoya donc quelques dizaines de kilos de fibres aux filatures du nord de l'Italie. Le résultat fut désastreux : non seulement les machines ne purent filer l'antique matériau mais, pire, elles en furent endommagées.

L'île de Sant'Antioco est le dernier lieu de Sardaigne, et même de Méditerranée où les secrets de ce don de la mer sont encore connus et prêts à être transmis. Stann 'e CirduIci s'est maintenue jusqu'à la première moitié du XX° siècle - grâce aux bas-fonds relativement incontaminés et à une tradition textile tenacement ancrée - une production assez importante pour fournir jusqu'à des réalisations qui, si elles ont aujourd'hui perdu leur fonctionnalité traditionnelle, apparaissent comme oeuvres d'art (panneaux décoratifs mais aussi gants et bonnets).
A Sant'Antioco les origines du travail du byssus remontent à l'époque antique et témoignent d'apports moyen-orientaux. Ceux-ci sont aisément justifiés tant par la position cruciale de l'île sur les premières grandes routes maritimes, que par la présence de deux protagonistes naturels : la Pinna nobilis et le murex.

Après les Phéniciens, ce sont probablement des israélites qui entretinrent la filière d'élaboration du byssus. C'est du moins ce que suggèrent les vestiges archéologiques qui attestent de la présence en l'île d'une communauté hébraïque dès le I° siècle de notre ère.
TanitIl est établi que l'empereur Tibère relégua dans le Sud-Sardaigne un grand nombre d'israélites dans le but avoué de contrarier le brigandage Sarde et de fournir une main-d'oeuvre peu coûteuse aux mines d'argent et de plomb, abondantes dans cette région. On peut aussi penser que cette déportation avait un autre but, inavoué celui-ci : débarrasser Rome des troublions israélites, avec l'espoir que cette communauté ne puisse survivre en l'île dite "du Silence".
La BaigneuseSi tel était bien l'objectif du gouvernement impérial, il dut être fort déçu car non seulement les transfuges survécurent à l'exil mais, de surcroît, il s'installèrent tranquillement en ces confins de l'Empire et y prospérèrent. C'est du moins ce que reflètent, à quelques pas de la basilique de Sant'Antioco, les catacombes où l'on trouve de nombreux tombeaux judaïques voisinant ceux des chrétiens, autres exilés de Rome. Une des rares inscriptions encore lisibles sur la voûte d'une de ces sépultures révèle le nom de la défunte : "Beronice".
Ce patronyme évoque-t-il Bérénice, héroïne tant légendaire qu'historique, dont le tragique destin aurait connu une fin heureuse comme protagoniste de la saga du byssus ?

Haut de pageBérénice,
fut la soeur de Marco Giulio Agrippa, Roi de Palestine et vassal de Rome. Son histoire, contée par PegaseSénèque, fut reprise quelques siècles plus tard par maints auteurs dramatiques et des poètes : le futur empereur Titus, commandant les guerres de Judée, y connu la belle Bérénice.
Les Phéniciens nommèrent SLK ou Sulki leur comptoir en l'île de Sant'Antioco.
Selon les Grecs, le toponyme était Molibodes Nesos et selon les Romains Insula Plumbea, ou Ile du Plomb, eu égard à la production minière locale et à l'intérêt que les conquérants y trouvaient. Aujourd'hui le toponyme Sulcis désigne l'extrémité sud-ouest de la Sardaigne.
Quand les amants vinrent à Rome où le trône impérial attendait Titus, la raison d'état s'opposa à leur union et ils furent contraints de renoncer à leurs serments. Bérénice dut alors quitter Rome pour retourner en Palestine.
Ici se termine l'histoire "officielle" de Bérénice, mais il est possible que la princesse, honteuse de retourner en son royaume, choisit alors de s'installer au sein de la communauté hébraïque de Sant-Antioco, où la tradition évoque encore son nom et les fabriques de byssus qu'elle y aurait fondés.
Quoi qu'il en soit, les historiens de la même époque parlent de l'engouement des courtisanes et des dames de rang pour l'étoffe dite "tissée de vent" et le conteur-écrivain-philosophe Apulée, dans sa version des Métamorphoses, n'hésite pas à vêtir la déesse Isis "d'une tunique de byssus, léger et irisé".

Haut de pageMais retournons en notre île :
sa population va diminuer au cours des siècles suivants, du fait de l'extrême insécurité qu'engendrent les incursions des Vandales et autres pirates qui profitent de la moindre faiblesse des empires Romains, puis Byzantin.
Porte traditionnelleDe l'antique cité qui avait été une grande métropole à l'époque carthaginoise, ne subsistera qu'une immense nécropole comptant, creusées dans la roche, des milliers de tombes où se cachent les survivants des raids. Au VII° siècle de notre ère, sur la colline dominant l'ancien port, l'ex centre urbain se résume à la basilique dédiée à Saint Antioco. Fête de Saint AntiocoSise en ce sanctuaire paléochrétien, l'autorité religieuse à qui sont inféodés terres, forêts, vignes, serfs et serves peut seule sauvegarder le savoir et les traditions de tissage de la soie marine, qui ressurgit aux rares périodes où la sécurité des lieux paraît mieux assurée. Ainsi, au XI° siècle, sous l'impulsion du Saint-Siège auquel se sont enfin ralliés les chrétiens de Sardaigne, les Bénédictins de Saint-Victor de Marseille rénovent la basilique et favorisent certainement une recrudescence de la production du byssus.
Quelques épidémies de peste plus tard, ce n'est qu'au XVIII° siècle que le repeuplement de l'île, ordonné par la Maison de Savoie, devint effectif et que les terres furent remises en culture, encore que sous la garde des armes : les terrifiantes incursions barbaresques ne cessèrent qu'après 1815, date de la paix signée avec le bey d'Alger suite au pilonnage de sa capitale par la flotte anglaise.
En 1914, le photographe et éditeur florentin Vittorio Alinari, témoigne dans le récit de son second voyage en Sardaigne de la vitalité de l'industrie textile à Sant'Antioco. Il compte 200 métiers à tisser qui y produisent diverses étoffes, la plus remarquable étant celle faite ... des fils soyeux de la Pinna nobilis !Ecole du Byssus Il évoque la belle couleur cuivrée du byssus avec lequel on confectionne de la lingerie du plus bel effet.
Parmi les beaux clichés des deux frères Alinari à Sant'Antioco, l'un des plus suggestifs montre les jeunes femmes occupées au filage du byssus : l'une présente un panier plein de houppes prêtes à être filées, les autres tiennent de petits fuseaux, filent et bobinent.
Italo DianaLa famille Diana accompagna les photographes à la découverte de l'univers textile de Sant'Antioco. Italo Diana, photographié en joueur de flûte à trois becs (launedas), fut un des derniers maîtres à tenir école de byssus.
L'art du filage et du tissage de la soie de mer se transmettait à l'intérieur de nombreuses familles, mais on appréciait de pouvoir envoyer les filles à l'école d'un maître où elles pouvaient développer, outre le savoir-faire de leurs aînées, une sensibilité créatrice et une vision large et cohérente de la chaîne menant du produit brut au produit fini.
L'école d'Italo Diana employait 10 jeunes femmes, parmi lesquelles Maria Maddalena Rosina Mereu. Celle-ci qui ouvrit plus tard sa propre école de byssus. Elle fut aussi la grand-mère et l'initiatrice de Chiara Vigo, qu'elle nous invite à suivre ici.

 

Flamants roses sur la lagune.
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